Loi de programmation de la recherche : le choix de la défaite

Audrey Audrey MOREAU Actualité

À un moment où semble s’amorcer de manière inéluctable un basculement de la puissance économique de l’Occident vers l’Asie encore amplifié par la crise du Coronavirus, on aurait pu espérer que le président de la République et son gouvernement prennent la mesure de ce qui se déroule sous leurs yeux. Pour donner simplement un ordre de grandeur, et même cela n’est pas strictement comparable au cas français, le budget de recherche et développement de la Chine est passé de 1 % du PIB en 2000 à 2,05 % en 2014 % – déjà un pourcentage supérieur à l’effort des pays de l’Union européenne, selon Eurostat – et devrait se rapprocher de 2,2 % en 2020. Bilan des courses : depuis le début de ce siècle la Chine est devenue une machine à former scientifiques et ingénieurs monte en puissance année après année. Elle surpasse désormais tous les pays sauf les États-Unis en nombre de publications scientifiques, aussi fragile que puisse être cet indicateur.

Mais ces statistiques implacables ne concernent pas que l’Asie. La France est particulièrement déficitaire en matière de recherche publique. Elle a moins de chercheurs publics que la Grande-Bretagne ou que l’Allemagne. Au regard de cette situation, des besoins qui existent dans chaque laboratoire, chaque Université à l’exception de quelques pôles privilégiés, le président et sa majorité auraient pu prendre réellement conscience de la situation. Ils auraient pu comprendre que seule une recherche efficace, bien financée par des fonds publics offrant des perspectives attrayantes aux chercheurs et enseignants chercheurs, irriguant l’Université et ses formations était une réponse face aux défis à venir. Plus simplement que c’est la condition indépassable pour que nous ayons encore un avenir…

Las, le gouvernement a fait le choix de la défaite. Il s’est mis en situation d’accepter notre déclin et, pire, de gérer celui-ci. La mobilisation massive des enseignants-chercheurs et des chercheurs autour de la Loi de programmation de la recherche ne prouve qu’une chose : ce texte est un mauvais texte. Si l’effervescence au sein du monde le recherche et dans l’université est rendue invisible par la pandémie, il est évident que cette loi de programmation aura des conséquences graves pour notre pays. Fi donc des discours sur la Start-Up nation où des envolées lyriques du président de la République à l’anniversaire des 80 ans du CNRS. La réalité est là et elle est rude pour toute la communauté scientifique française.

La loi comportait de bonnes initiatives avec notamment une volonté affichée d’augmentation des rémunérations des chercheurs et enseignants-chercheurs et une progression des financements des laboratoires. De la même façon il faut se réjouir que les vacataires soient rémunérés mensuellement à partir de 2022, ce qui permettra de réduire la précarité inacceptable des doctorants. Reste que les moyens budgétaires sont insuffisants, essentiellement en raison de la durée sur laquelle s’étend cette loi de programmation de la recherche : 10 ans alors que les deux précédentes LPPR avaient eu une durée comprise entre 4 et 5 ans, ce qui revient à diluer les moyens dans le temps sans pouvoir les garantir…

Au-delà de la trajectoire budgétaire, il y a également les orientations.

La loi confirme d’abord une orientation libérale. Le texte vient fondamentalement renforcer la précarité organisée et l’embauche de plus en plus massive par le biais de contrats précaires qui empêche la construction de carrière de recherche. Elle ne met pas assez l’accent sur les financements pérennes au profit d’une recherche uniquement sur projets. Si ces derniers sont nécessaires ils ne sauraient se substituer à un engagement structurel.
Sur la conception de la recherche ensuite. Alors certes, l’une des dispositions les plus décriée du texte qui menaçait les libertés académiques a été effacé suite à la commission mixte paritaire (la commission qui réunit des députés et ses sénateurs quand les deux assemblées sont en désaccord sur un texte) grâce à la mobilisation de la communauté de l’enseignement supérieur et de la recherche.

Reste que la disposition introduite en catimini par un amendement au Sénat qui enlève, dans les faits, tout pouvoir au Conseil national des universités (CNU) sur la reconnaissance et la validation des qualifications des enseignants-chercheurs en vue de leur nomination en qualité de maître de conférences et de professeur au sein des universités a été maintenue. Cette disposition censée être une « expérimentation » pour quatre ans n’a jamais été présentée ni devant le CNU, ni devant le Conseil national de l’enseignement supérieur et de la recherche, ni devant le Conseil d’État. Elle n’a donné lieu à aucune étude d’impact. Elle a suscité l’ire et la colère du CNU qui rassemble les représentants de toutes les disciplines universitaires. Ce qui est en cause, c’est la reconnaissance des qualifications, compétences, qualités à diriger les recherches par des pairs, en collégialité, au sein de chaque discipline. Supprimer, de fait, le CNU, c’est rompre avec une politique nationale de l’enseignement supérieur qui conduira à favoriser certaines universités au détriment de beaucoup d’autres, au mépris de toute cohérence nationale.

Cerise sur le gâteau, il faut aussi s’inquiéter d’une dérive sécuritaire disproportionnée et aux contours flous sur le « trouble à la tranquillité d’un établissement d’enseignement supérieur » et sa potentielle atteinte à la liberté de manifestation. Encore un indice de la dérive autoritaire de ce pouvoir.

Les parlementaires socialistes se sont opposés à cette loi tout au long du processus par le dépôt de centaines d’amendements qui ont systématiquement été écartés. Notre contre-projet proposait d’atteindre enfin 1% du PIB consacré à la recherche publique… En dépit de nos efforts, vous l’avez sans doute vu, ce texte a malheureusement été voté par la majorité gouvernementale avec la complicité de la droite sénatoriale.

Il nous reste un dernier espoir que nous allons mobiliser le plus vite possible, celui d’un recours auprès du Conseil Constitutionnel. Les sénatrices et sénateurs socialistes, écologistes et républicains et d’autres sénatrices et sénateurs de gauche le déposeront rapidement.

Inutile d’ajouter que je signerai celui-ci des deux mains !

Il en va d’une certaine idée de la Recherche, de l’Université, mais plus fondamentalement, il en va surtout de l’avenir de notre pays…

La tonalité de cette publication est alarmiste, mais elle reflète surtout mon état d’esprit devant ce gâchis…