Proposition de loi renforçant l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières et supprimant le « verrou de Bercy »
Cosignataire
Exposé des motifs
L'arsenal législatif applicable à la délinquance en col blanc s'est considérablement enrichi depuis 2013, notamment sous l'effet, pour ne prendre que quelques exemples, des deux lois relatives à la transparence de la vie publique1(*), de la loi n° 2013-1117 du 6 décembre 2013 relative à la lutte contre la fraude fiscale et la grande délinquance économique et financière, de la loi n° 2013-1115 du 6 décembre 2013 relative au procureur de la République financier ou de la loi n° 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, dite « Sapin II ».
C'est ainsi que Transparency International, se livrant à un « bilan du quinquennat de François Hollande en matière de transparence, d'intégrité et de lutte contre la corruption »2(*), se félicite des « avancées majeures » dans le domaine - entre autres - de la lutte contre la délinquance économique et financière et, plus généralement, de l'adoption de plusieurs lois ayant « permis d'amorcer un changement de culture pour faire de l'éthique publique une composante centrale du pacte qui doit lier les citoyens à leurs représentants ».
Au-delà des textes eux-mêmes, ce sont leurs résultats, qu'il convient de souligner : comme le relève Transparency International, « le Parquet national financier et la Haute autorité pour la transparence de la vie publique délivrent un bilan encourageant ». De même, « la lutte contre la fraude fiscale produit aussi ses premiers résultats. Grâce à la mise à disposition de nouveaux outils dans les mains de la justice, au renforcement des règles et des moyens consacrés ainsi qu'à l'action déterminante des lanceurs d'alerte, le montant des redressements fiscaux et des sanctions a atteint en 2015 plus de 21 milliards d'euros provenant des particuliers et des entreprises et 45 000 comptes détenus irrégulièrement à l'étranger régularisés ». Quant à l'adoption d'un dispositif complet et solide de protection des lanceurs d'alerte, elle « contribue à hisser la France au niveau des meilleurs standards internationaux en la matière ».
La justice a bien évidemment été au coeur de cette quête constante du « toujours mieux ». Le législateur l'a dotée de nouveaux outils tels que la convention judiciaire d'intérêt public, lui a ouvert de nouvelles portes d'entrée contre la délinquance financière par l'incrimination de faits comme le trafic d'influence d'agent public étranger ou par l'allongement du délai de prescription en matière de fraude fiscale et a levé d'importants obstacles de procédure, par exemple en ce qui concerne la charge de la preuve en matière de blanchiment ou le champ de la compétence territoriale des juridictions.
Mais, aussi positif soit l'inventaire, les pouvoirs publics ne sauraient s'accommoder d'un regard dans le rétroviseur législatif pour considérer que le combat pour l'éthique et la justice est derrière eux. Ils ont un devoir de vigilance pour s'assurer au quotidien du bon emploi et de l'efficacité de l'arsenal juridique existant. Ils ont aussi un devoir d'action pour, si besoin est, le compléter et lever les obstacles qui peuvent encore se dresser entre la délinquance et la justice, entre la fraude et la morale.
Parmi ces obstacles, l'un d'eux est régulièrement pointé du doigt par les associations et les élus qui le dénoncent, par les juges, qui s'y heurtent, et par les citoyens, qui s'en émeuvent avec raison : le fameux « verrou de Bercy », ce filtre à la justice en vertu duquel l'auteur d'une infraction fiscale ne peut être poursuivi que sur plainte de l'administration (et, au surplus, sous réserve d'un avis conforme de la commission des infractions fiscales).
Ainsi, le 16 janvier dernier, Mme Eliane HOULETTE, procureure de la République Financier déclarait « le verrou bloque toute la chaîne pénale. Il empêche la variété des poursuites et constitue un obstacle théorique, juridique, constitutionnel et républicain, en plus d'être un handicap sur le plan pratique. ». M. François MOLINS, procureur de la République de Paris a également exprimé, le 8 février dernier, son hostilité au maintien du monopole des poursuites pénales en matière fiscale par Bercy. Il souligne que la France est le seul pays européen à utiliser cette procédure que rien ne justifie, pas même l'efficacité puisque les parquets disposent aujourd'hui de capacités d'investigation plus importantes que l'administration.
Que le ministre du budget dispose ainsi du monopole de l'ouverture de poursuites pénales est regardé par beaucoup comme une aberration dans un État de droit (indépendamment de la circonstance, heureusement rarissime, qui érigerait ledit ministre en décideur de l'opportunité d'ouvrir des poursuites contre lui-même...). Même les plus indulgents ne peuvent qu'y voir, à tout le moins, une anomalie. Et si l'expertise, indéniable, de l'administration fiscale peut expliquer que celle-ci ait son mot à dire sur la sanction la plus adaptée à un délit financier, elle ne saurait raisonnablement servir d'alibi à l'immobilisme comme elle le fait depuis trop longtemps : l'expert peut éclairer la justice, certainement pas s'y substituer.
Au final, les appréciations portées sur ce dispositif d'un autre temps sont diverses mais reposent toutes sur une même réalité : le « verrou de Bercy » est une tache dans un État qui se veut exemplaire.
C'est à la faire disparaître que s'attache d'abord la présente proposition de loi.
Son chapitre unique vise à renforcer l'efficacité des poursuites contre les auteurs d'infractions financières : le l ° de l'article premier supprime le « verrou de Bercy » pour renvoyer, comme pour n'importe quel délit, au procureur de la République le soin d'apprécier les suites à donner aux faits constitutifs de fraude fiscale ; le 2° du même article complète ce dispositif en assurant la bonne information du procureur de la République par l'obligation de lui transmettre tout procès-verbal dressé par les agents assermentés de l'administration. Les autres dispositions de ce chapitre premier tirent les conséquences de la fin du « verrou de Bercy », notamment en organisant la suppression de la commission des infractions fiscales.