Proposition de loi relative à l'affectation des avoirs issus de la corruption transnationale

Cosignataire

Exposé des motifs

La corruption transnationale se caractérise par un accaparement de biens publics ou privés au profit d'une minorité d'oligarques qui bénéficient indument d'un enrichissement illicite.

La corruption transnationale se distingue des autres formes de corruption à travers trois caractéristiques principales : l'importance des transactions et des sommes en cause ; la grande mobilité de ces flux financiers et la capacité de les dissimuler à l'étranger grâce à une ingéniosité juridique et financière ; et enfin de lourdes conséquences économiques et sociales pour les pays d'origine.

La grande corruption vise l'enrichissement illicite de personnes politiquement exposées étrangères, que cet enrichissement soit le fruit de paiements indus versés par des entreprises corrompues, de détournements de fonds publics ou de tout autre manquement à leur devoir de probité

Dans tous les cas, ce sont les pays les plus pauvres qui sont généralement touchés par le phénomène de la corruption transnationale et qui en souffrent le plus. Selon une estimation de la Banque mondiale, les pays en développement et en transition perdent chaque année entre 20 et 40 milliards de dollars du fait de la corruption transnationale - un chiffre qui représente 20 à 40 % du montant de l'aide annuelle au développement. Ces chiffres alarmants témoignent des effets dramatiques de ces flux financiers illicites sur la qualité de vie, les droits de l'homme et les droits économiques, sociaux et culturels des habitants qui en sont les victimes.

À l'instar d'autres pays développés, la France héberge bon nombre de ces flux financiers illicites. La loi prévoit des sanctions patrimoniales et des mécanismes de recouvrement afin d'appréhender les produits de la corruption transnationale.

En droit français, la saisie des instruments ayant servi ou destinés à la commission de l'infraction et des produits directs ou indirects de la corruption est possible, que ce soit dans le cadre d'une enquête de flagrance, d'une enquête préliminaire ou d'une information judiciaire, ainsi que leur confiscation à l'issue d'un jugement de condamnation. La confiscation peut porter sur tout ou partie des biens appartenant à la personne condamnée, quelle qu'en soit la nature.

Afin de mieux appréhender les profits engendrés par la délinquance et le crime organisé et, ce faisant, de renforcer l'effet dissuasif de la sanction pénale, la loi n° 2010-768 du 9 juillet 2010 visant à faciliter la saisie et la confiscation en matière pénale a élargi le champ des biens pouvant être saisis et confisqués et a créé l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) qui assure la gestion des biens saisis (numéraires, comptes bancaires, immeubles, etc.) et, une fois ces biens confisqués par une décision définitive, procède à leur aliénation en vue d'en transférer le produit.

En France, la loi prévoit quatre destinations, par le biais de l'AGRASC, pour les fonds provenant des avoirs confisqués :

1. L'indemnisation des parties civiles ;

2. L'abondement de fonds spéciaux par le versement à la MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives) du produit des recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers des personnes reconnues coupables d'infractions en matière de trafic de stupéfiants et le versement au fonds pour la prévention de la prostitution et l'accompagnement social et professionnel des personnes prostituées des fonds confisqués en lien avec le proxénétisme et la traite des êtres humains ;

3. L'autofinancement de l'AGRASC ; c'est ainsi que l'État a renoncé à percevoir une partie des fonds provenant du crime pour permettre le financement de l'AGRASC, qui a pour mission de faciliter la récupération des avoirs criminels, ce qui a instauré ainsi un cercle vertueux ;

4. L'abondement du budget général de l'État (affectation par défaut) qui contribue au désendettement de l'État et bénéficie de ce fait à toute la collectivité.

Il existe par ailleurs dans notre code de procédure pénale tout comme dans la Convention des Nations unies contre la corruption (CNUCC) des règles de partage au profit de l'État étranger ayant ordonné la confiscation.

Ces règles varient suivant que l'État en question est membre ou non de l'Union européenne (UE) et, le cas échéant, selon qu'il a transposé dans son droit interne la décision-cadre 2006-783/JAI du Conseil du 6 octobre 2006 relative à l'application du principe de reconnaissance mutuelle aux décisions de confiscation. Si l'État ayant ordonné la confiscation est membre de l'UE et a transposé dans son droit interne cette décision-cadre et si le montant total des sommes recouvrées est supérieur à 10 000 €, un partage à parts égales est effectué avec l'État étranger. Dans tous les autres cas, ce sont les dispositions de l'article 713-40 du code de procédure pénale qui s'appliquent. Suivant ce texte, la propriété des avoirs est dévolue à l'État français sauf accord contraire conclu avec l'État étranger requérant. Le partage n'est donc pas automatique. Le cas échéant, dès lors que le montant total des sommes recouvrées - qui inclut le produit de la vente des biens confisqués - est supérieur à 10 000 €, il est possible de procéder à un partage à parts égales avec l'État étranger.

La CNUCC prévoit la restitution obligatoire et intégrale des avoirs illicites au profit de l'État étranger (« victime ») dans les cas de soustraction de fonds publics ou de blanchiment de fonds publics soustraits (article 57.3.a). La convention organise par ailleurs la restitution du produit de toute autre infraction visée par la CNUCC. L'article 57.3.b prévoit en effet, en pareille hypothèse, que l'État partie requis où se trouvent les avoirs illicites doit restituer les biens confisqués à l'État signataire requérant lorsque ce dernier fournit des preuves raisonnables de son droit de propriété antérieur sur lesdits biens ou lorsque l'État partie requis reconnaît un préjudice à l'État partie requérant comme base de restitution des biens confisqués.

Pour autant, ces règles ne s'appliquent que très rarement. La raison en est simple : elles ne jouent que lorsque les juridictions étrangères ont engagé et mené à leur terme les procédures judiciaires nécessaires aux fins de recouvrer les avoirs illicites se trouvant à l'étranger. Or, lorsqu'il s'agit de corruption transnationale et tout particulièrement lorsque les agissements illicites mettent en cause des agents publics de haut rang, parfois encore en exercice, il apparaît trop souvent illusoire d'espérer que les juridictions de l'État d'origine entreprennent des démarches en ce sens. En effet, dans les États où prospère la corruption, il arrive que les autorités judiciaires soient souvent empêchées d'agir, soit qu'elles craignent des représailles, soit qu'elles soient elles-mêmes sujettes à la corruption. De plus, même dans les cas où les juridictions de l'État d'origine auraient la volonté d'engager des procédures, la défaillance de leur système judiciaire constitue souvent un autre obstacle au succès de leurs démarches.

En définitive, la confiscation des produits de la corruption transnationale se trouvant en France emporte le plus souvent transfert de leur propriété à l'État français et rien ne permet de garantir l'affectation des avoirs illicites confisqués au profit des pays et des populations qui en ont été privés.

Or, si l'on conçoit que l'absence de gouvernance, ou l'état de défaillance de certains des États d'origine, rendent légalement impossible le partage ou la restitution des avoirs illicites à leur profit, rien, en revanche, ne justifie que les avoirs ayant fait l'objet d'une décision de confiscation ne soient pas utilisés au bénéficie des populations d'origine - qui sont les premières victimes de la corruption. Toute autre solution ne peut que constituer une « double peine », les populations concernées subissant en effet les conséquences de la corruption de leurs élites dirigeantes et, en outre, des dysfonctionnements de leur appareil judiciaire.

La situation qui prévaut actuellement en France contraste avec les principes relatifs à la disposition et au transfert des avoirs confisqués en matière de grande corruption élaborés en 2005 par le G8. Le principe n° 2 prévoit notamment : « À chaque fois que cela est possible et approprié, sans porter préjudice aux autres victimes, les biens recouvrés dans des affaires de grande corruption devraient bénéficier aux populations des États victimes ». Les dispositions de l'article 57.3.c de la CNUCC envisagent pareillement la possibilité d'utiliser les avoirs confisqués afin de « dédommager les victimes ». La situation en France est contraire à la pratique d'un nombre croissant d'États qui accordent une place centrale aux populations victimes en matière de recouvrement d'avoirs illicites.

Afin de combler cette double lacune de notre droit en la matière, la présente proposition de loi met en place un fonds dédié afin d'organiser l'affectation desdits avoirs à leur profit.

Un nouveau titre est inséré dans le code de procédure pénale relatif à l'affectation des recettes provenant de la confiscation des biens mobiliers ou immobiliers détenus directement ou indirectement par des personnes étrangères politiquement exposées reconnues coupables d'infractions en matière de probité. Pour ce faire, il prévoit la création d'un fonds afin d'organiser l'affectation des avoirs recouvrés dans les affaires de corruption transnationale avec le double objectif de garantir que les avoirs illicites recouvrés en France contribuent au développement des pays qui en ont été injustement privés et de conforter les efforts de la France en matière de lutte contre la corruption transnationale dans tous les cas où l'absence de gouvernance ou l'état de défaillance des États d'origine rendent légalement impossible la mise en jeu des règles de partage ou de restitution.

La procédure d'affectation des fonds, dont les conditions sont précisées par décret en Conseil d'État, doivent reposer sur les principes de transparence, de redevabilité, d'efficacité, de solidarité et d'intégrité.

La présente proposition de loi prévoit explicitement la possibilité pour l'Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis et confisqués (AGRASC) d'abonder ce fonds.

Elle prévoit enfin que les conséquences financières résultant pour l'État de la présente proposition de loi sont compensées, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

Précisons que le dispositif proposé ne vise que les avoirs confisqués dont la propriété a été transférée à l'État français. Ne sont donc pas couverts les avoirs susceptibles de restitution ou encore restitués en application des articles 478 et 479 du code de procédure pénale (tout comme ceux au sujet desquels il existe des dispositions particulières prévoyant leur destruction ou leur attribution/dévolution à une autre entité que l'État). L'origine de la décision de confiscation est en revanche indifférente : confiscation autonome ou bien confiscation exécutée à la demande de juridictions étrangères. En ce dernier cas, le dispositif recouvre tant les avoirs ultimement dévolus à l'État français en application des règles de partage visées aux articles 713-32 et 713-40 du code de procédure pénale (ou encore de l'article 57.3 de la Convention des Nations unies contre la corruption) que l'hypothèse où lesdites règles ne trouveraient pas à s'appliquer, emportant ainsi transfert total de la propriété des avoirs au profit de l'État français.