Proposition de loi visant à adapter la fiscalité de la succession et de la donation aux enjeux démographiques, sociétaux et économiques du XXIe siècle

Cosignataire

Exposé des motifs

Les fondements de notre démocratie ont consacré dans la Déclaration des Droits de l'Homme et du Citoyen de 1789 la nécessité d'une contribution publique, d'un impôt que chacun paierait pour l'intérêt de la communauté.

La Déclaration de 1789 a établi les principes essentiels qui régissent encore aujourd'hui les impôts dans notre pays, notamment l'égalité devant l'impôt selon les facultés de chacun. C'est bien cette égalité, qu'on appelle aujourd'hui la « justice fiscale », qui a permis et permet encore le consentement à l'impôt des Françaises et des Français. C'est aussi la rupture de cette justice fiscale qui a pu dans notre Histoire engendrer des mouvements sociaux, voire de véritables révoltes.

Consentir à l'impôt, c'est donner les moyens à l'État et aux collectivités territoriales de faire fonctionner nos services publics, c'est permettre la protection des citoyennes et citoyens, c'est organiser la solidarité nationale indispensable pour la cohésion nationale. Consentir à l'impôt est nécessaire pour le vivre ensemble : il s'agit incontestablement du premier acte civique accompli par le contribuable.

Or, les inégalités sociales et économiques tendent aujourd'hui, après plusieurs années de résorption, à répartir à la hausse, ce qui affaiblit un pacte républicain souvent remis en question en générant des distorsions de traitement remettant en cause la justice fiscale à certains égards.

Il appartient aux pouvoirs publics et à l'ensemble des formations politiques soucieuses du caractère républicain et démocratique de notre modèle politique de trouver des réponses à ces nouveaux défis aux conséquences politiques mais aussi sociales dramatiques et insoutenables à moyen terme.

Dans ce contexte, il apparaît que le creusement des inégalités est aujourd'hui davantage lié aux inégalités patrimoniales qu'aux inégalités de revenu, pourtant conséquentes et en croissance. Comme en attestent les nombreux travaux récents conduits par différents économistes, il s'agit là d'un enjeu républicain de premier plan. Dans une publication en date du 4 juin 2019, l'Observatoire des inégalités estiment à la lumière de l'ensemble des travaux disponibles que : « les écarts de patrimoine sont bien plus élevés que ceux des revenus. Le 1 % le plus fortuné de notre pays possède 17 % de l'ensemble du patrimoine des ménages ; les 10 % les plus riches, presque la moitié (Insee, 2015). Le patrimoine médian des cadres est supérieur à 200 000 €, alors que celui des ouvriers non qualifiés s'élève à 16 400 € (Insee, 2015). L'accumulation engendre une reproduction des inégalités de génération en génération. »

Dès lors, se pose la question de la taxation du patrimoine en France, en ce qu'elle ne permet de toute évidence pas de jouer un rôle redistributeur suffisamment efficace.

C'est en ce sens que le groupe socialiste et républicain du Sénat avait déposé une proposition de loi référendaire visant au rétablissement d'une imposition de solidarité sur la fortune, qui permettait la redistribution, légitime du point de vue de l'intérêt général, d'une partie somme toute modérée du capital, notamment des très grandes fortunes.

Dans cette perspective, la question de la fiscalité de la transmission du patrimoine en France mérite également d'être posée. En effet, cette dernière semble être particulièrement inadaptée eu égard aux enjeux économiques, sociaux et sociétaux de notre époque alors qu'environ la moitié des Françaises et des Français bénéficie au cours de sa vie d'un héritage égal ou supérieur à 5 000 €.

Dans un contexte de crise des finances publiques, il ne saurait s'agir de trouver de la sorte de nouvelles ressources pour la puissance publique mais simplement de réformer un dispositif existant afin de le rendre plus efficace, plus efficient, plus juste et plus lisible, quand les enquêtes d'opinion attestent unanimement de la méconnaissance des Français en la matière.

Il est parfaitement entendable que celle ou celui qui a travaillé toute sa vie rechigne à être taxé lourdement au moment de la transmission de son capital à ses descendants. C'est pourquoi l'objectif des auteurs de la présente proposition de loi est de rééquilibrer un dispositif connaissant tellement d'exceptions qu'il bénéficie en définitive aux très grandes fortunes au détriment des autres contribuables. Par la simplification des droits de succession et par un rééquilibrage de la progressivité du dispositif, il sera possible d'obtenir un dispositif plus lisible, plus simple et plus juste sur le plan fiscal et social.

En outre, les auteurs de la présente proposition de loi intègrent dans leur réflexion une préoccupation intergénérationnelle à l'importance croissante. Les droits de succession dans leur forme actuelle ont été pensés à une période où l'âge moyen des héritages n'était pas le même qu'aujourd'hui. L'allongement de l'espérance de vie a pour conséquence un âge moyen d'héritage d'environ 50 ans. Ce dernier sera même de 55 ans d'ici à la moitié du siècle. Cet état de fait a une première conséquence sur le plan économique : le cycle de vie se traduisant par des variations de consommation et d'investissement en fonction de l'âge, cette situation peut apparaître comme étant sous-optimale pour l'économie française.

Une deuxième conséquence, sociale, doit être évoquée : alors que l'ensemble des acteurs politiques français estiment aujourd'hui que la jeunesse de notre pays doit être encouragée, le dispositif actuellement en vigueur est incontestablement contre-productif en ce qu'il concentre les capacités d'investissement sur des personnes ayant déjà, du moins assez largement, construit leur vie et constitué un patrimoine personnel. Notamment, la réforme des droits de succession pourrait constituer une réponse, sans doute incomplète mais toutefois largement positive, en matière d'accession à la propriété dans un contexte de flambée des prix de l'immobilier.

Sur le plan sociétal enfin, l'évolution des modes de vie des Français et la diversification des structures familiales rend légitimes une réflexion d'ensemble sur un dispositif prévu à une époque très différente de celle que nous connaissons aujourd'hui. En cela, la problématique de la réserve héréditaire et de son adaptation à la société est posée par les auteurs de la présente proposition de loi.

Pour l'ensemble de ces raisons, une révision d'ensemble, équilibrée, de la fiscalité des successions et, dans un souci de cohérence, des donations est pleinement légitime.

Le premier chapitre vise à répondre à l'évolution sociodémographique de notre société et à favoriser en ce sens les transmissions intergénérationnelles en encourageant notamment les donations et successions entre les grands-parents et leurs petits-enfants.

L'article 1er aligne le montant des abattements entre grands-parents et petits-enfants, tant dans le cas d'une donation que d'un héritage, à 150 000  € (conformément à l'article 6 de la présente proposition de loi), soit le même montant que dans le cas d'une transmission en ligne directe. De même, dans l'hypothèse d'une succession au bénéfice d'un neveu ou d'une nièce, l'abattement est porté à 50 000 € dans l'hypothèse où le légataire ou le donateur n'a pas de descendance en ligne directe.

L'âge moyen d'héritage en France est aujourd'hui de 50 ans. Ce recul de l'âge d'héritage a des conséquences sociales et économiques qu'il convient de prendre en considération. À cet égard, il est intéressant de noter que plusieurs études, et notamment celles de France Stratégie et de Terra Nova, démontrent que cette situation, découlant de l'allongement de l'espérance de vie, prend des proportions importantes du fait de l'arrivée à l'âge de décès de la génération des baby boomers. Cette situation est vue comme étant sous-optimale sur le plan économique, le besoin et l'appétence à l'investissement de ces tranches d'âge étant plus modéré qu'ils ne le sont pour les plus jeunes devant encore « construire leur vie ».

Dans les années à venir, le nombre de décès, et en conséquence le nombre d'héritages, va être amené à croître significativement. Cet ensemble d'éléments va conduire à une concentration des richesses en direction des quinquagénaires et des sexagénaires. La législation fiscale française accentue cette situation car elle favorise très largement, par le biais des abattements existants, les donations et successions en faveur des enfants.

Afin de renforcer l'insertion des jeunes et leur capacité à investir, notamment pour acheter un bien immobilier, engager une démarche entrepreneuriale ou encore développer des activités annexes de génération de revenus complémentaires, il serait opportun de mettre en oeuvre un dispositif permettant de davantage redistribuer, sur un plan intergénérationnel, les patrimoines. Il s'agit là très clairement d'une mesure en faveur de la jeunesse.

Dans cette perspective, le présent article propose d'aligner le montant des abattements existant en matière de donation et de succession aux petits-enfants sur l'existant pour la transmission à ses enfants. Il ne s'agirait en aucun cas d'une obligation ou d'une contrainte pour la personne préparant sa succession, mais d'une souplesse accrue qui permettrait à des personnes d'un âge entrainant un besoin de capitaux importants de bénéficier, le cas échéant, de tels apports.

Dans la même logique, l'abattement existant dans le cas d'une transmission à un neveu ou à une nièce serait également augmenté.

L'article 2 vise à encourager les donations au profit des petits-enfants en accroissant l'abattement existant et en raccourcissant le délai de renouvellement de ce dernier à dix années, dans l'hypothèse d'un bénéficiaire âgé de moins de quarante ans.

Dans le cadre des donations, l'abattement est aujourd'hui remis à zéro tous les quinze ans, contre dix ans avant 2012 et 7 ans avant 2007. Le renforcement de la contrainte temporelle avait été mis en oeuvre pour empêcher ou, à tout le moins, limiter les effets d'évitement de l'imposition au titre des successions.

Si cet encadrement renforcé permet de limiter les démarches d'optimisation fiscale, il n'est pas nécessairement adapté à la transmission de capital aux plus jeunes, a fortiori dans le contexte décrit précédemment d'allongement de l'espérance de vie.

Dans la même logique que celle de l'article 1er de la présente proposition de loi et afin d'inciter au fléchage du patrimoine vers les plus jeunes ayant le plus de besoins de financement, le présent article propose de raccourcir la durée nécessaire à la remise à zéro de l'abattement à dix années quand les donations sont adressées à des personnes dont l'âge est inférieur à quarante ans. L'enjeu est ainsi, sur la base de l'incitation et non de la contrainte, de renforcer les flux financiers à destination de la jeunesse.

L'article 3 vise à réformer la réserve héréditaire et la quotité disponible afin de conserver une obligation de transmission à ses ayants droits directs tout en augmentant les possibilités autres de transmission du patrimoine, ceci afin de renforcer les possibilités de legs intergénérationnel, notamment en faveur de jeunes majeurs caractérisés par des besoins de financement plus importants du fait de leur âge. De plus, cette disposition permet de mieux prendre en considération, sur le plan fiscal, la diversité croissante des structures familiales.

Il vise à réformer la réserve héréditaire, et plus précisément de l'assouplir. L'équilibre défini dans l'article du code civil apparaît dépassé en ce qu'il ne prend pas nécessairement en compte l'évolution des structures familiales et l'impact de cette dernière en matière de fiscalisation des successions.

L'objet du présent article n'est pas d'ouvrir un débat ou la voie à des modifications d'ampleur qui nécessiteraient une approche très globale et poussée.

Il s'agit plus prosaïquement d'assouplir la réserve héréditaire sans pour autant aboutir à une situation qui serait potentiellement privative ou largement préjudiciable pour les ayant droits directs.

Les libéralités seraient légèrement augmentées afin de laisser davantage de possibilité au disposant, sans aucune obligation, dans la répartition de son patrimoine après son décès.

Ainsi, dans le cas d'un enfant unique, ces libéralités passeraient d'une moitié à deux tiers ; dans le cas de deux enfants, la moitié au lieu du tiers ; dans le cas de trois enfants ou davantage, ces libéralités passeraient du quart au tiers.

Cet assouplissement permettrait ainsi, tout en préservant les enfants du disposant, d'accroître ses possibilités redistributives en faveur par exemple de ses neveux ou nièces, de ses petits-enfants, voire de ses beaux-enfants dans certaines structures familiales.

Cet article poursuit ainsi la logique globale de la présente proposition de loi visant à assouplir les règles pour favoriser une redistribution plus large des patrimoines.

Dans le deuxième chapitre, les auteurs de la présente proposition de loi proposent la mise en place d'une progressivité plus cohérente de l'imposition des héritages, afin de limiter les effets de seuil existants.

L'article 4 réforme tout d'abord les tarifs des droits de mutation à titre gratuit applicables. La définition d'une progressivité plus linéaire, autour d'un point de bascule fixé à 300 000 €, apparaît équilibrée, d'autant que les abattements existant s'appliquent sur cette grille.

La difficulté est l'irrégularité des seuils qui nuit à la progressivité finale du dispositif. En effet, les montants pris en considération sont, en ligne directe, de 0 à 8 000 € (chiffres arrondis), puis 12 000 €, puis 16 000 €, puis... 552 000 €, 903 000 € et 1 806 000 €. Pour chaque tranche, le taux d'imposition progresse de 5 % pour aller de 5 % pour la première tranche à 45 % pour la dernière. L'objet du présent article n'est pas de modifier les taux car aller au-delà de 45 % pour les successions en ligne directe pourrait apparaître comme étant confiscatoire et serait psychologiquement inapproprié. Il s'agit tout simplement de lisser les tranches afin d'obtenir une progressivité plus harmonieuse et limiter ainsi les effets de seuils.

En effet, dès 1998, dans un rapport à la commission des finances de l'Assemblée nationale, le rapporteur général estimait que : « cet impôt [les droits de succession] frappe d'abord les patrimoines de moyenne importance ». Il ajoute que : « l'absence de réévaluation des seuils et des abattements à la base a aggravé la pression fiscale et de façon importante pour les petites successions. »

C'est en ce sens que des seuils de 15 000 €, 50 000 €, 150 000 €, 300 000 €, 600 000 € et 1 200 000 € sont proposés, afin de lisser la progressivité réelle de l'imposition au titre des droits de mutation à titre gratuit (DMTG).

Comme toute modification des seuils, cette proposition induit une modification du montant final prélevé. Il est possible d'estimer que les personnes percevant une succession inférieure ou égale à 300 000 € seront globalement moins taxées quand celle percevant une succession supérieure à 300 000 € le seront davantage, l'impact restant toutefois modéré dans la plupart des cas de figure. Il convient également de rajouter que ces montants doivent être interprétés en tenant compte de l'abattement général existant qui est rehaussé par la présente proposition de loi et qui renforce la protection appliquée dans le cas de transmission de petits patrimoines.

Ainsi, le cumul de l'abattement et de ce montant pivot permet de prendre en considération la réalité du niveau de vie des héritiers et du patrimoine au montant d'établir leur niveau de taxation.

Cette mesure permet ainsi de renforcer la progressivité du dispositif tout en intégrant notamment le renchérissement des prix du secteur de l'immobilier, notamment dans les zones métropolitaines denses mais aussi sur les littoraux français, qui contribuait à alourdir la taxation au titre de DMTG de personnes aux revenus pourtant modestes.

La même logique est bien évidemment appliquée au barème applicable aux successions entre personnes mariées ou pacsées. Enfin, en ce qui concerne le barème applicable pour les autres situations familiales ou en l'absence de liens familiaux, les montants de seuils sont simplement arrondis car le dispositif apparaît d'ores et déjà équilibré.

L'article 5 propose l'intégration dans la part nette taxable prise en considération de l'ensemble des successions perçues dans le passé par l'ayant droit. Il permet ainsi de traiter équitablement, d'un point de vue fiscal, des personnes percevant un seul héritage ou plusieurs héritages au cours de sa vie.

Aujourd'hui, lors de la perception d'un héritage, il n'est pas tenu compte d'héritage(s) antérieur(s) perçu(s) par le bénéficiaire, qui peut ainsi bénéficier plusieurs fois de l'abattement général existant.

Ainsi, un enfant unique percevant par exemple deux héritages de 100 000 € au cours de sa vie ne paiera pas de DMTG puisque l'abattement s'appliquera à plein, quand une personne dans la même situation percevant un seul et unique héritage de 200 000 € s'acquittera quant à lui de 18 194 € d'impôts. L'objet du présent article est ainsi de corriger cette inégalité de traitement afin de renforcer la justice fiscale : à situation équivalente et en l'occurrence à montant hérité identique, le traitement fiscal doit être équivalent.

Pour rappel, l'augmentation des abattements généraux existant en matière de droits de mutation sur les titres gratuits permet d'éviter tout effet de seuil pour les héritages de petite ou moyenne importance. En effet, l'enquête conduite par France Stratégie en 2017 démontre que seul un enquêté sur trois (33 % précisément) déclare avoir déjà bénéficié d'une donation ou d'un héritage supérieur à 5 000 € et qu'un peu moins d'un sur deux pense qu'il en bénéficiera à l'avenir. Ce dispositif de justice d'équité fiscale élémentaire n'aura ainsi pas d'effet néfaste pour les héritiers modestes.

L'article 6, afin de préserver le capital des ménages modestes subissant notamment le renchérissement du prix de l'immobilier, vise à augmenter de 100 000 € à 150 000 € l'abattement général existant. Aujourd'hui, il existe un abattement général, pour les successions en ligne directe et les donations dans le même cadre, d'environ 100 000 €. L'existence de cet abattement est salutaire dans la mesure où il permet de ne pas fiscaliser des héritages sur des montants modestes et de faire en sorte que les descendants profitent de l'épargne accumulée durant leur vie par leurs parents.

Néanmoins, l'abaissement de cet abattement en 2012, s'il était légitimé par les besoins de lutter contre le déficit public d'une part, et par l'existence de nombreux mécanismes d'optimisation fiscale en matière de DMTG, n'est plus opportun dans le cadre de la révision d'ensemble de la fiscalité des héritages et donations proposée par la présente proposition de loi.

Au surplus, le renchérissement continu des prix de l'immobilier amène à ajuster à la hausse le montant de cet abattement afin de ne pas conduire des héritiers modestes à devoir renoncer à un héritage familial par manque de moyens financiers eu égard à la proportion accrue que prend l'immobilier dans la constitution des patrimoines des classes populaires et moyennes, contrairement à la ventilation du patrimoine des déciles supérieurs en France.

Le présent article propose ainsi de rétablir l'abattement à son niveau antérieur de 150 000 €. Une telle mesure permettra également de compenser pour les plus modestes l'introduction dans l'assiette des DMTG des assurances vie, comme indiqué à l'article 7 de la présente proposition de loi.

Cette révision a pour objectif, dans un dernier chapitre, de simplifier l'assiette des droits de succession et de donation pour en accroître la lisibilité et l'équité. Ainsi, l'article 7 a pour objet d'intégrer les sommes perçues au titre des assurances vie dans l'assiette des droits de succession, afin d'éviter les comportements d'évitement fiscal largement constatés aujourd'hui du fait d'une fiscalité démesurément avantageuse.

Aujourd'hui, les sommes placées avant 70 ans dans des assurances vie ne sont soumises aux DMTG que sur une base très avantageuse (abattement spécifique de 152 500  € puis tranches de 20 et 35 %). Ainsi, il apparaît un effet de distorsion significatif en matière de niveau de taxation. Plusieurs acteurs du marché de l'assurance jouent d'ailleurs clairement sur cet argument pour obtenir de nouveaux clients.

Un célèbre assureur indique même sur son site internet qu'avec une assurance vie abondée à hauteur de 210 000 € (dont 160 000 € placés avant 70 ans), l'imposition finale au titre des DMTG sera de 3 592 €, soit 1,71 % des sommes reçues, bien en-deçà du barème général.

Ainsi, il y a lieu, tant afin de simplifier l'architecture des droits de succession que de supprimer ces effets de distorsion, de réintégrer les assurances vie dans le droit commun en les incorporant dans l'assiette des DMTG. Il convient par ailleurs de noter que la plupart des pays développés, à l'exception notamment de la France, de l'Italie ou des États-Unis, intègre dans l'assiette de calcul des droits de succession cette assurance vie.

Cette disposition aura un impact sur les droits de succession acquittés par la plupart des héritiers, notamment parce que l'abattement spécifique serait supprimé. S'il y a clairement lieu de fiscaliser davantage les transmissions conséquentes pour rétablir la progressivité des DMTG, il convient aussi de veiller à ce que les transmissions d'assurances vie moins conséquentes ne soit pas frappées par une imposition brutale, ce qui irait à l'encontre même de la présente proposition de loi en limitant fortement la progressivité du dispositif par un alourdissement de la fiscalité dès le premier euro. En effet, quatre français sur dix possèdent au moins un contrat d'assurance vie d'après le baromètre 2018 de l'épargne réalisé par Ipsos pour le Cercle des épargnants.

Afin d'éviter un tel écueil, l'article 6 de la présente proposition de loi augmente d'un tiers l'abattement général existant pour les DMTG, en le passant de 100 000 à 150 000 €, afin de compenser un tel effet induit.

Une étude de 2017 du cabinet facts and figures démontre que l'essentiel du marché est constitué par la clientèle grand public. Il s'agit de celle qui gagne jusqu'à 50 000 € par an. Représentant 66 % de la population, elle détient 44,5 millions de contrats (soit 82 % du total). L'encours moyen de cette clientèle standard s'élève à 18 800 € ce qui atteste de la pertinence de l'accroissement de l'abattement général proposé.

À l'opposé, les personnes devant voir leur imposition augmenter sont les clients dits « patrimoniaux » des assureurs. Représentant 10 % de la population, ces épargnants ont en moyenne 2,3 contrats par foyers (contre 1,8 dans la catégorie inférieure). L'encours moyen approche des 66 000 €. Ainsi, la clientèle patrimoniale concentre 39 % des encours globaux de l'assurance vie.

En outre, il convient de s'interroger sur l'impact que pourrait avoir une telle mesure sur le secteur de l'assurance vie, qui représente au total à ce jour environ 1 700 milliards d'euros en France, soit 40 % du marché de l'épargne pour 54 millions de contrats à la fin de l'année 2015 selon l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution.

Indubitablement, le présent article pourrait aller dans le sens d'une diminution du recours à l'assurance vie quand cette dernière est utilisée uniquement à des fins de transmission patrimoniale. Néanmoins, deux éléments permettent de limiter l'importance de tels mouvements. Il est tout d'abord établi, comme l'a notamment indiqué l'étude conduite par Terra Nova, que l'exil fiscal concerne en premier lieu et très largement la fiscalité des revenus et non pas la fiscalité du patrimoine. Au surplus, en l'absence d'outils de substitution en France, l'effet d'éviction devrait très vraisemblablement être limité. En outre, si éviction il y a, cela se ferait mécaniquement au bénéfice d'autres placement sans qu'il n'y ait véritablement un impact négatif global sur l'économie française.

En conclusion, l'intégration des assurances vie dans l'assiette des droits de succession permettra de simplifier le dispositif et d'en accroître la progressivité, sans que cela ne se traduise par une hausse de fiscalité pour la classe moyenne mais seulement pour les foyers fiscaux utilisant le dispositif dans un but très clair d'optimisation fiscale, et ceci sur des montants très conséquents.

L'article 8 vise, tout en maintenant un encouragement à la transmission d'entreprise, à rationaliser un dispositif dont l'efficacité économique n'est pas démontrée et qui constitue un biais aboutissant à un déséquilibre net de l'effort contributif des Françaises et des Français. Ainsi, il est proposé de ramener l'exonération existante de 75 % à 25 %. Afin d'éviter une application trop brutale, l'article prévoit l'organisation d'une période transitoire de 10 ans permettant de lisser les effets de seuil générés par une telle mesure.

Le pacte « Dutreil » permet, sous certaines conditions qui ont par ailleurs été assouplies ces dernières années, de transmettre son entreprise à un ayant droit en bénéficiant d'une exonération à hauteur des trois quarts des DMTG.

Il s'agit de fait d'une niche fiscale qui permet de faciliter le maintien d'une entreprise dans le giron familial au détriment des finances publiques. Sur l'année 2018, la loi de règlement fait apparaître une consommation de crédits à hauteur de 500 millions d'euros. Pour l'année 2019, la loi de finances initiale évalue au même montant le coup de cette mesure.

Au surplus, ce dispositif génère en matière d'imposition des successions une différence de traitement appuyée entre les propriétaires d'entreprises et les autres contribuables.

Cette exonération partielle très conséquente doit en ce sens être analysée selon une logique très simple : cette dépense fiscale a-t-elle un intérêt économique et social justifiant son maintien ?

Sur le plan international, la France apparaît dans un entre-deux, avec des exonérations en la matière inférieure à ce qui se pratique dans des pays tels que l'Italie, l'Espagne, la Belgique (la Wallonie plus précisément), le Royaume-Uni, ou encore l'Allemagne, certains de ces pays exonérant même complètement la transmission d'entreprise. Ainsi, la France dispose d'un régime certes incitatif, mais qui est quelque part bloqué entre une logique d'aide complète aux entreprises, d'une part, et de maintien de recettes fiscales, d'autre part.

L'objet du présent article est de réduire de manière significative la dépense fiscale, en l'abaissant de 75 % à 25 % sur une période de dix ans, ceci afin de limiter une application trop brutale.

En effet, si une suppression totale de toute aide à la transmission d'entreprise pourrait sans conteste être vue comme prématurée, son analyse économique et sociale, a fortiori dans un contexte d'unanimité politique quant à la nécessité de procéder à une révision d'ensemble des dépenses fiscales, apparaît utile pour ne pas dire nécessaire. Bien que les chefs d'entreprise et leurs organisations représentatives plébiscitent, pour des raisons évidentes, ce dispositif, le Conseil des prélèvements obligatoires a pour sa part estimé que son efficacité n'était pas démontrée.

Comme le rapportait en 1998 Didier MIGAUD, alors rapporteur général de la commission des finances de l'Assemblée nationale, une évolution de la législation en la matière était suggérée par la Commission européenne : « la Commission européenne a estimé [en 1994] que la charge fiscale de la transmission d'entreprise, justifiée par l'objectif social d'une certaine redistribution des richesses, touche en réalité un organisme fragile dont elle peut entraîner la faillite, alors que les États auraient intérêt à garantir la survie de ces entreprises sources d'autres recettes fiscales et de contributions sociales. »

Dans un rapport de 2009 sur le patrimoine des ménages, il est également indiqué, dans la même logique que « dans une étude sur les entreprises familiales cotées à la bourse de Paris entre 1994 et 2000, David SRAER et David THESMAR ont mis en évidence la surperformance des entreprises dirigées par leur fondateur. Le constat des deux chercheurs est différent pour les entreprises familiales dirigées par un descendant du fondateur, et les résultats de leur étude montrent que la gestion par les héritiers a tendance à détruire de la valeur. »

En 2017, France Stratégie a également pu s'inscrire dans la même logique en indiquant que « l'exonération d'impôt à 75 % pour la transmission d'entreprise, qui vise à favoriser la reprise d'activité par les héritiers, serait plutôt dommageable à l'activité économique et à la création d'emploi. »

Il appartiendra par la suite au gouvernement de trouver s'il le souhaite des mécanismes permettant d'encourager la transmission d'entreprise sans pour autant générer, d'une part, une telle dépense pour l'État et, d'autre part, une inéquité de traitement flagrante des contribuables en matière d'imposition sur les successions. Il ne s'agit pas de dire par le biais du présent article que la transmission d'entreprise ne doit pas être encouragée mais qu'elle doit l'être par les bons outils.

L'article 9 vise à supprimer plusieurs exonérations partielles de droits de succession en raison de la nature des biens transmis dont le bien-fondé n'est pas établi et qui contribue de facto à générer des inégalités de traitement entre les contribuables. Si la dépense fiscale est un outil pertinent de politique publique, le législateur doit veiller à ce qu'elle ne génère pas des inégalités de traitement démesurées entre les contribuables.

Il s'agit ainsi des exonérations applicables aux transmissions de bois et forêts, qui représentent dans la loi de finances pour 2019 un coût de 72 millions d'euros, ainsi que de plusieurs exonérations sectorielles.

Au-delà de leur coût pour les finances publiques, dont il pourrait en l'espèce être discuté, ces mesures de simplification poursuivent un double objectif : il s'agit en premier lieu de simplifier un dispositif complexe à l'excès, comme en atteste le faible degré de connaissance qu'a le contribuable de cette imposition. Il s'agit en second lieu de rétablir là encore une équité de traitement entre les héritiers. Il n'est en effet pas cohérent, pour ne prendre qu'un exemple, qu'un héritier récipiendaire d'une parcelle de forêt qui génèrera pour lui les bénéfices de la vente des coupes de bois, ne soit pas fiscalisé à la même hauteur qu'un héritier bénéficiaire d'un bien immobilier générant une rentabilité économique équivalente.

Le présent article génèrera sans conteste une distorsion en ce qu'il pénalisera notamment la gestion forestière. Cependant, l'ensemble des récents rapports, tant de la Cour des Comptes que de la Commission des finances du Sénat, attestent du caractère largement sous-optimal de cette gestion à l'échelle nationale, avec la prévalence de micro-parcelles qui sont peu ou prou adaptées aux attentes contemporaines de l'exploitation forestière. En ce sens, le Conseil des prélèvements obligatoires indiquait dans son rapport, dès 2009, que « pourrait également être mise à l'étude la remise en cause de certaines exonérations partielles ou totales applicables, au terme d'une revue de leurs effets, voire de leur justification. Par exemple, l'exonération de DMTG des bois et forêts, à hauteur des trois quarts de leur valeur, a été créée par la loi dite Sérot du 16 avril 1930, dans un contexte, à l'époque, d'exploitation intensive des domaines forestiers privés, dans l'objectif d'éviter de contraindre les héritiers à déboiser le domaine pour pouvoir s'acquitter des droits grâce au produit de cession du bois. Or aujourd'hui, la surface forestière progresse régulièrement (de 0,6 % par an entre 1980 et 2010) et l'objectif d'éviter les prélèvements de bois a perdu sa pertinence. »

L'article 10 vise à harmoniser les dispositifs existants dans les outremers en matière de droits de mutation à titre gratuit pour les immeubles et droits immobiliers en vigueur à Mayotte à l'ensemble des outremers.

Il existe à ce jour une exonération des DMTG pour les immeubles et droits mobiliers à Mayotte. À plusieurs reprises, il a été indiqué qu'il serait opportun, dans un souci d'égalité de traitement, d'élargir ce dispositif à l'ensemble des outremers. Cette proposition serait incontestablement source d'une plus grande justice fiscale et d'une meilleure équité de traitement des contribuables.

Dans la logique de simplification, d'harmonisation et de rééquilibrage de la fiscalité des héritages, il est proposé par le présent article de procéder à une telle harmonisation qui revêt une importance majeure sur le plan symbolique, d'une part, sans représenter, d'autre part, un coût indépassable pour les finances publiques, a fortiori dans la mesure où la présente proposition de loi génèrera, comme indiqué, des recettes fiscales supplémentaires.