Proposition de loi visant à créer le crime de violence sexuelle sur enfant

Cosignataire

Exposé des motifs

Cette proposition de loi a pour objet d'améliorer la protection des mineur.e.s victimes de viols et d'agressions sexuelles.

« Le Consentement », l'ouvrage sans équivoque de Vanessa SPRINGORA décrivant les agissements pédocriminels de Gabriel MATZNEFF et l'emprise qu'il exerçait sur elle lorsqu'elle avait 14 ans, a remis sur le devant de la scène les difficultés de notre pays à garantir juridiquement la protection des enfants vis-à-vis des violences sexuelles commises par les adultes. Les militant.e.s des mouvements féministes et de la protection de l'enfance n'ont cessé de dénoncer une tolérance sociale à la pédocriminalité : dans les années 1980, si nous ne soupçonnions peut-être pas tout à fait l'ampleur du phénomène, nous savions. Nous savions qu'au prétexte fallacieux de leur talent artistique ou du refus du puritanisme, par déni ou par indifférence, les agresseurs sexuels pouvaient bénéficier d'une grande complaisance que l'on qualifierait aujourd'hui de complicité.

L'impunité des agresseurs n'a pas pris fin avec la prise de conscience du caractère massif des violences sexuelles auxquelles sont exposés les enfants. En 2017, le parquet de Pontoise a choisi de ne pas poursuivre pour « viol » l'auteur majeur d'une relation sexuelle avec une collégienne de 11 ans, malgré la plainte pour viol déposée par la famille. En qualifiant les faits de délits, le parquet avait retenu la qualification la moins grave. Cela avait largement fait réagir l'opinion publique et les expert.e.s. Le code pénal, dans son article 222-23, définit le viol comme « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit, commis sur la personne d'autrui par violence, contrainte, menace ou surprise ». Dans son article 222-22-1, le code pénal précise également que la contrainte peut être physique ou morale. En l'espèce, le parquet avait considéré que l'agression subie par la victime de onze ans n'entrait pas dans cette catégorie, malgré la gravité des faits et les différents mécanismes mobilisés par l'agresseur (contrainte morale de par l'écart d'âge, comportement violent, menaces quant à la réputation de sa victime, utilisation de l'effet de surprise lors de l'approche).

Un examen attentif de la qualification juridique des agressions sexuelles et de la jurisprudence met en lumière l'importance des marges d'appréciation laissées aux magistrat.e.s, et ce, quel que soit - ou presque - l'âge des victimes. La Cour de cassation considère depuis 2005 qu'en dessous d'un très jeune âge, un.e enfant ne peut pas avoir consenti aux actes sexuels dont il ou elle est victime : la contrainte est alors présumée de manière automatique pour les enfants en très bas âge (Arrêt n° 6810 du 7 décembre 2005, Chambre criminelle de la Cour de cassation1(*)). Même si la qualification des faits retenue par le parquet de Pontoise n'est pas significative des pratiques du plus grand nombre des parquets, elle révèle néanmoins une insuffisante protection des mineur.e.s.

Depuis l'affaire de Pontoise, la dénonciation de violences sexuelles subies dans l'enfance par de nombreuses victimes s'est poursuivie. En parallèle, plusieurs décisions de justice ont été rendues, dans lesquelles la qualification d'atteinte sexuelle a régulièrement été retenue, en dépit des faits de pénétration avérés et du (très) jeune âge des victimes. Les juges continuent de rechercher et d'identifier le « consentement » des mineur.e.s. La loi du 3 août 2018 pourtant destinée à renforcer la lutte contre les violences sexuelles et sexistes n'a pas mis fin au débat sur le « consentement » des jeunes victimes et le Gouvernement comme les majorités parlementaires de l'Assemblée nationale et du Sénat ont refusé de créer un crime spécifique de violence sexuelle sur enfant.

Force est de constater qu'en ne fixant pas un seuil d'âge clair en dessous duquel le non-consentement (donc la contrainte) est présumé, cette loi a manqué son but. Les victimes et leurs familles continuent à prendre de plein fouet des requalifications de viols en délits et les condamnations consécutives à du sursis, autant de décisions qui ravivent profondément les traumatismes et augmentent le sentiment d'impunité des agresseurs.

Les débats qu'ont provoqués l'ouvrage de Vanessa SPRINGORA et l'affaire Matzneff ont confirmé ce que nous craignions : il est toujours possible de débattre du consentement d'un ou d'une mineure de moins de quinze ans à une relation sexuelle avec pénétration avec un adulte.

L'objet de cette proposition de loi est donc de mieux protéger les mineur.e.s des crimes et agressions sexuelles, par :

· la création d'une nouvelle incrimination pénale du crime de violence sexuelle sur enfant ;

· les dispositions de coordination pénale nécessaires ;

· et le report à l'âge de la majorité de la victime du début du délai de prescription pour les délits de non-dénonciation de mauvais traitement et d'abus sexuel sur mineur.e de quinze ans.

L'article 1er crée une nouvelle incrimination pénale : le crime de violence sexuelle sur enfant.

Il affirme que tout acte de pénétration sexuelle entre une personne majeure et une personne mineure de quinze ans est un crime de violence sexuelle sur enfant, puni des peines de vingt ans de réclusion criminelle. La tentative est punie des mêmes peines.

Cet article complète la présomption de contrainte induite par l'écart d'âge prévue à l'article 222-22-1 du code pénal.

Les travaux menés par le Haut Conseil à l'égalité entre les femmes et les hommes, et plus particulièrement l'Avis pour une juste condamnation sociétale et judiciaire du viol et des autres agressions sexuelles (octobre 2016), ont posé la nécessité d'un seuil d'âge en deçà duquel le non-consentement de la victime mineure est présumé. Dans sa note de positionnement du 16 avril 2018, le Haut Conseil à l'égalité souhaite que soit fixé un interdit clair à destination des adultes de ne pas pénétrer sexuellement des enfants. Considérant l'élément intentionnel de l'infraction, exigé par le Conseil constitutionnel, notons que nulle pénétration sexuelle ne saurait être involontaire.

Le Conseil national de protection de l'enfance recommande d'instaurer une infraction criminelle spécifique, posant l'interdiction absolue pour tout majeur de commettre un acte de pénétration sexuelle sur un mineur de moins de quinze ans.

Par cohérence, l'article 2 exclut cette nouvelle incrimination pénale du champ du délit d'atteinte sexuelle prévue à l'article 227-27 du code pénal. L'article 3 prévoit un régime de prescription analogue aux autres crimes commis sur les mineur.e.s, en complétant l'article 7 du code de procédure pénale.

L'article 4 fait débuter à l'âge de la majorité de la victime le début du délai de prescription pour les délits de non-dénonciation de privations, de mauvais traitements ou d'agressions ou atteintes sexuelles infligés à un.e mineur.e (prévu à l'article L. 434-3 du code pénal). Il s'agit de faire partir le début de la période de prescription à la majorité de la victime des mauvais traitements et/ou abus sexuels, comme le prévoit déjà l'article 7 du code de procédure pénale pour les crimes sur mineur.e.s.