Proposition de loi visant à financer les politiques publiques de réponse à la crise sanitaire et économique du Covid-19 par la réintroduction d'un impôt de solidarité sur la fortune

Cosignataire

Exposé des motifs

La présente proposition de loi vise à rétablir une imposition de solidarité sur la fortune, a minima de manière temporaire, afin de financer les dépenses engagées dans le cadre de la lutte contre la crise sanitaire et économique du Covid-19.

Sur l'aspect technique, la rédaction proposée découle du rapport d'évaluation de la transformation de l'ISF en impôt sur la fortune immobilière (IFI) rendu par Vincent Éblé et Albéric de Montgolfier, Président et Rapporteur Général de la commission des finances du Sénat il y a quelques mois. Il s'appuie donc sur les analyses détaillées et chiffrées les plus récentes existantes. Il apparaît en effet aujourd'hui indispensable de restaurer l'ISF, tout en le modernisant afin de remédier à ses défauts. À cette fin, le dispositif présenté propose en conséquence trois aménagements :

En premier lieu, un relèvement significatif du seuil d'assujettissement, de 1,3 million d'euros à 1,8 million d'euros, afin de sortir de l'impôt toutes les « petites fortunes » immobilières : près de 40 % des redevables de l'ISF seraient ainsi exonérés, pour un coût légèrement inférieur à 500 millions d'euros (compensé par une hausse de deux points du prélèvement forfaitaire unique) ;

En deuxième lieu, le retour du « plafonnement du plafonnement » mis en place sous le Gouvernement d'Alain Juppé et validé expressément par le Conseil constitutionnel (décision n° 2010-99 QPC du 11 février 2011), qui permettrait mécaniquement de restaurer la progressivité de l'ISF en haut de la distribution des patrimoines, sans toucher les moins fortunés des redevables ;

Enfin, une modernisation des modalités déclaratives fondée sur le recours à des tiers-déclarants, afin de faciliter les démarches des contribuables et de limiter les sous-déclarations.

Sur le fond, il s'agit clairement d'une réponse légitime, citoyenne et pragmatique à la crise de financement qui découle de la crise sanitaire et économique que traverse notre pays depuis quelques semaines.

La réintroduction d'un ISF, même de manière temporaire si le Gouvernement le souhaite, apparaît incontestablement fondée tant sur le plan éthique et citoyen que sur le plan économique et social. Un rejet de cette proposition serait en ce sens incompréhensible.

L'opportunité d'un rétablissement de l'ISF ne fait aujourd'hui plus de doute. La crise sanitaire et économique du Covid-19 a rappelé aux tenants de la main invisible et du libéralisme toute l'importance d'un État fort, capable de réguler les activités économiques et de veiller à la recherche d'un intérêt général que les lois du marché ne peuvent garantir seules.

Cette crise est également discriminatoire dans la mesure où elle a frappé et continue de frapper sans conteste plus durement les personnes les plus modestes, comme la caissière de grande surface qui dut poursuivre son activité professionnelle malgré le risque sanitaire, le ripeur qui a également maintenu son engagement pour le bien-être collectif, le personnel soignant qui fait encore et toujours front dans des conditions difficiles avec courage et abnégation, mais aussi l'ouvrier payé au SMIC qui s'est vu mettre en chômage partiel du fait du confinement, quand les cadres supérieurs ont pu eux plus aisément opter pour un télétravail qui leur a permis de conserver l'intégralité de leurs revenus.

Notons par ailleurs que ce sont bien trop souvent les femmes qui ont payé le tribut le plus lourd de cette situation à laquelle s'ajoutent de manière dramatique les difficultés du confinement avec un ou plusieurs enfants dans les situations de familles monoparentales et trop souvent encore des violences domestiques en forte hausse.

Cette crise met clairement en exergue une participation différenciée de chacun au bien-être collectif et au bien commun.

Sur le plan des finances publiques, le Président de la République a eu raison d'indiquer que l'ensemble des mesures de lutte contre la crise doivent être prises « quoiqu'il en coûte ». Le groupe socialiste et républicain du Sénat soutient et s'associe à cette logique volontariste. Nous devons tout faire pour, en premier lieu, sauver le plus de vies possible, et, en deuxième lieu, pour préserver notre tissu économique et social, nos emplois et nos entreprises. Alors que le confinement semble être désormais derrière nous, c'est également la problématique de la relance économique qu'il convient d'ajouter à ces défis qui nous attendent.

Il convient cependant d'être lucide : en bout de course, il faudra payer ces dépenses, aussi indispensables soient-elles. À ce stade, il est prévu par le Gouvernement de les financer par le déficit et par la dette, et ainsi de reporter la charge de cette crise sur nos enfants et nos petits-enfants. Le groupe socialiste et républicain du Sénat juge cette attitude irresponsable.

Les auteurs de la présente proposition de loi notent à cet égard que si la France dispose aujourd'hui de quelques marges de manoeuvre financière et budgétaire, cela est en grande partie dû aux efforts d'assainissement des comptes publics qui ont été engagé durant le quinquennat précédent, sous la Présidence de François Hollande. Cette crise témoigne, et la comparaison avec l'Allemagne est en l'espèce cruelle, de l'importance d'une bonne tenue des comptes publics pour pouvoir réagir avec vigueur et rapidité dans le cas d'un choc économique extrême comme c'est le cas aujourd'hui.

Ainsi, les dépenses engagées doivent être financées non pas demain, mais aujourd'hui. Il apparaît qu'une réduction des dépenses n'étant pas envisageable sur le plan économique et social, seule une augmentation des recettes peut avoir lieu. Le choc d'offre et de demande actuel invalide très clairement la mise en oeuvre d'une taxation supplémentaire sur les flux, à savoir les revenus ou la consommation.

La seule hypothèse crédible d'un point de vue économique et politique demeure dès lors la taxation du capital. C'est d'ailleurs une piste économique soutenue publiquement par de nombreux économistes de premier plan, comme Esther Duflo ou encore Thomas Piketty pour n'en citer que deux.

À cet égard, il apparaît loin d'être anecdotique de noter que comme la doctrine économique l'a démontré avec constance ces dernières années, c'est l'accumulation du capital qui est aujourd'hui la source de la remontée des inégalités en France mais aussi dans le monde.

De plus, la présidence d'Emmanuel Macron est marquée à ce stade par des allègements sans précédent de la contribution des plus aisés (premier décile mais surtout premier centile) au vivre-ensemble. La suppression de l'ISF par le Gouvernement n'aurait pu se justifier que si elle avait eu pour effet de stimuler fortement l'économie, au point de pouvoir générer des gains en termes d'emploi et de pouvoir d'achat pour l'ensemble de la population. Or, il ressort des travaux d'évaluation conduits par la commission des finances du Sénat que le gain fiscal lié à la réforme n'a été que peu ou prou réinvesti dans les entreprises françaises, compte tenu notamment des déperditions vers la consommation et le reste du monde.

Plus généralement, les études empiriques les plus récentes suggèrent que l'allègement de la fiscalité au niveau de l'épargnant-actionnaire n'exerce pas d'effet sur l'investissement. Par ailleurs, la baisse du nombre de départs de redevables de l'ISF observée en 2017 (-256), à supposer qu'elle soit directement liée à la mise en place de l'IFI, représente moins de 0,1 % du total des redevables de l'ISF. Les gains économiques collatéraux associés à cette diminution des départs paraissent limités, dès lors que l'âge moyen des partants (58 ans en 2016) suggère que la plupart n'étaient pas sur le point de démarrer un nouveau projet d'entreprise.

Au total, il apparaît incontestablement que la suppression de l'ISF, qui constituait une forme d'imposition populaire au rendement particulièrement dynamique, répondait avant tout à des motifs idéologiques.

Il ne s'agit à cet égard pas d'inverser la logique de la présente proposition : loin d'une « haine des riches » souvent pointée du doigt par les tenants d'un libéralisme exacerbé, les auteurs de la présente proposition de loi souhaitent simplement que, dans l'esprit de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789, ces derniers contribuent à due proportion à la solidarité nationale dans ces moments de crise.

Tel est l'objet du présent dispositif qui permettrait de lever des fonds conséquents qui seront pleinement utiles pour le redressement du pays qui doit être engagé sans délai. Le rétablissement de l'imposition de solidarité sur la fortune ne saurait être l'alpha et l'oméga du financement de la crise sanitaire, économique et sociale actuelle, ne serait-ce que parce que son rendement ne serait pas suffisant. Cependant, ces près de 2,5 milliards de recettes supplémentaires qui en découleraient permettrait d'accroitre significativement la justice fiscale dans notre pays et permettrait de financer des politiques publiques à destination de celles et ceux qui ont souffert et souffrent encore de cette crise.